Je veux avoir raison

Je veux avoir raison

Mon ami Yannick me répète souvent cette simple phrase : « entre avoir raison et être heureux, je choisis d’être heureux ».
Pourtant, ce n’est pas si simple.
Souvent, je cherche à avoir raison.
Or ce matin, je me demandais ce qui me poussait à avoir raison. Quelle peur était derrière cela ? Quel attachement me poussait à l’entêtement, voire l’obsession ?
JE VEUX AVOIR RAISON

J’ai d’abord pensé que pour avoir raison, il fallait que j’aie une raison. Que je sois raisonnable. Que j’aie envie de défendre une vérité, une réalité. Et si on remet en cause cette réalité, j’ai peur, car je perds mes repères.

Mais cette proposition ne me suffisait pas. Alors je me suis demandé : quelle serait la proposition inverse ? Si j’ai peur ou que je suis en colère pour justifier le « je veux avoir raison », est-ce que la proposition inverse me libèrerait de ces peurs et colères ?

J’ai donc cherché la proposition inverse.

Naturellement, la réponse est venue : « JE NE VEUX PAS AVOIR RAISON ».
Bon, je ne veux pas avoir raison, ce n’est pas vraiment la proposition contraire.
Je ne veux pas avoir raison est aussi entêtant et borné que je veux avoir raison. Car il y a une notion de lutte là-dedans. Mais une lutte négative, un refus, un espoir face à une possible menace…
Non, ce n’est pas la formule contraire. C’est la même formule, où seul le sujet change. Dans une proposition le sujet me convient, et je veux qu’il s’accomplisse, dans l’autre le sujet ne me convient pas et je veux qu’il ne s’accomplisse pas.

Alors j’ai cherché une autre proposition en allant me promener avec mes chiens.
Qu’est-ce qui est le contraire de « Je veux avoir raison » ?
La réponse est venue d’elle-même.
Le contraire de « je veux avoir raison », c’est arrêter le « je veux » et arrêter « la raison ».
Le « je veux », c’est imaginer que je suis aux commandes, que c’est moi qui décide. Or cela pèse souvent sur mes épaules quand j’ai l’impression d’être aux commandes. Tout simplement car je me berce de l’illusion que dans ma vie je peux tout maitriser, tout contrôler… quel leurre… Si je pouvais voir tous ces liens de cause à effet, toutes ces trames qui se chevauchent en ce monde, et parfois se touchent pour arriver à un acte, je serais plus humble.
« Je veux et j’exige… » Quelle prétention. Quelle illusion de puissance.
Ne pourrais-je pas plutôt demander que la puissance créatrice, le « tout amour », les anges… ou autre m’utilisent, que je sois l’instrument pour manifester le miracle de la joie ici bas ?
« Je veux… » Oh non, pas moi. Que quelque chose veuille en moi. Que ce quelque chose, bien plus aimant que je ne pourrais l’être, bien moins jugeant que je ne le suis, agisse. Je ne veux plus rien. Car ce « je », c’est nous. Mes parents, mes amis, mes guides, tous ces êtres qui ont éveillé en moi cette soif de bonheur et d’amour. Qu’à travers mon témoignage vivant vous puissiez continuer à vivre, à vous exprimer, et que je mette peut être à mon tour une empreinte légère qui s’ajoute à votre bonté.

« Avoir raison »… comme si la raison pouvait être un avoir, appartenir à quelqu’un. Comme si elle pouvait figer les éléments.
Je veux avoir raison, ceci est un gland. J’en suis sûr, c’est le fruit de ce chêne. Et quelques temps, plus tard, le gland a disparu. Pourtant, j’étais si sûr de moi. Et à la place d’un fruit, il y a ce jeune plant de chêne. Tout change, tout bouge. Sauf celui qui s’attache à ses certitudes. Celui-là, il reste attaché au mât de ses limites. « Je ne crois que ce que je vois, ce que je comprends »… Accepter l’acceptable, occulter l’inacceptable.

Mon ami, pas la peine de t’attacher à ton mât, pas besoin de défendre ton totem. Il est fait de poussière. C’est la poussière de tes rêves. De tes illusions. Regarde, il arrive un temps où cela part en fumée.
La raison, le raisonnable, cette balance qui oscille entre raisonnable et déraisonnable, entre perceptible et imperceptible, entre quantifiable et insondable. Est-ce que le bonheur peut jaillir de cette raison ? Tu sais que tu as toutes les raisons du monde d’être heureux : santé, famille, une maison, une situation professionnelle superbe ! Et pourtant, tu cherches encore le bonheur !
Tu compares alors avec ces personnes qui semblent aller si mal : une situation familiale catastrophique, la perte d’un job, la maladie… Pourquoi rient-ils encore. Pourquoi arrivent-ils encore à trouver des tissus de joie dans les lambeaux de leurs souffrances ? pourquoi ?
Quand on a tout perdu, même la raison, on se rattache à quels lambeaux ?
Quand la raison a tout perdu, quelle folie émerge ?
Oh, le fou de croire au bonheur ! regarde, tu vas mourir ! Ne vois-tu pas que ta maladie te porte à la mort ?
Je le vois, mon ami. Ce que j’offre à ce monde, ce n’est pas ma peur. Ce n’est pas ma raison. C’est ma folie. Toi aussi tu vas mourir. Un jour. A quoi te seras-tu attaché si longtemps ? Quand as-tu brisé les chaines qui entravent ton bonheur ?
Je ne veux ni avoir raison, ni avoir tort.
Je ne veux ni être raisonnable, ni sombrer dans la folie.
Je veux juste savourer. Chaque instant. Chaque signal que la vie m’envoie, c’est un petit miracle.
Même ta présence est un petit miracle. Tu es si beau. Les anges te regardent.
Mon ami, je vais mourir. Je savoure chaque instant. Chaque perle je la cueille.
Je veux partir le regard heureux.
Regarde, au fond de mes yeux. Ce n’est pas toi ce reflet. Regarde bien. C’est l’amour et la vie qui te regardent.

Si tu doutes, mon ami, garde ce secret. Je passe de l’autre côté. Lentement je glisse. Alors quand tu regardes, laisse-moi t’inspirer.
Pose de la douceur sur ta vie.
Pose de la bonté sur tes pensées.
Regarde, quittons-nous amis. Regarde, le monde s’ouvre. Regarde, tes yeux deviennent dorés.
Que se passe-t-il mon ami, je te quitte, et toi, tu acceptes la folie.
L’amour, la vie, ce ne sont que des folies dorées,
Des folies illuminées,
Qui posent sur ta volonté et ta raison la lumière de l’inspiré.

A Jackie…Texte inspiré par des propos sur les réfugiés mis à la lumière d’un mémoire sur la résilience des réfugiés rwandais en Belgique, Marie Noelle Janssens

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