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Les compétences émotionnelles pour faire face aux tensions du couple

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Les êtres humains sont des animaux sociaux, autrement dit des êtres de relation. Leurs besoins relationnels, de partage, d’échange, de connexion sont parmi les besoins les plus fondamentaux, considérés comme étant essentiels à leur bien-être et leur épanouissement (Maslow, s. d.). Nous avons besoin de prendre soin et d’être l’objet d’attention, d’avoir le sentiment d’être liés tant à d’autres individus qu’à un groupe.

Parmi les différentes formes de lien social, les relations de couples sont, pour beaucoup d’entre nous, une des plus importantes. Elles contribuent en effet au bien-être et au sentiment que notre vie ait du sens (Deci & Ryan, 2000). Mais vivre une relation de couple n’est néanmoins pas une chose aisée. En témoigne le nombre de divorces dans nos pays : un divorce pour deux mariages approximativement[1], et combien de relations qui se terminent de manière précoce. Bien que dans ces cas l’issue soit bien souvent définitive, la rupture n’est en fait souvent qu’un moyen d’essayer d’en finir avec les tensions et difficultés qui, invariablement, surgissent au cours d’une vie à deux.

Dans cet article, nous allons nous intéresser aux conflits et leur impact sur les relations de couple. Puis nous verrons comment notre manière de gérer nos émotions peut être une ressource pour faire face à ces tensions, nourrir l’intimité et retrouver la satisfaction de vivre à deux.

Les facteurs de succès d’une relation

La recherche scientifique s’intéresse depuis longtemps à ce qui est à même de prédire le succès d’une relation de couple (Levenson, Carstensen & Gottman, 1993). Différentes équipes de chercheurs ont constaté que certaines caractéristiques permettaient de définir, avec une certaine précision, les probabilités d’insatisfaction et de séparation (K. M. Lindahl, Clements & Markman, 1997) d’un couple. Les aspects positifs du début d’une relation comme le niveau d’intimité, de satisfaction ou d’engagement ne semblent pas, paradoxalement, des prédicteurs valables. Ce qui est somme toute assez logique : la majorité des couples sont non seulement satisfaits de leur relation au début mais également optimistes par rapport à son devenir. La dégradation de la relation étant due à l’effet cumulé de nombreuses petites difficultés dans le temps, les tourtereaux ne peuvent que difficilement imaginer que cela pourrait leur arriver. De plus, il apparaît que nous nous projetons dans le passé et dans le futur avec nos émotions du présent. Dès lors, lorsque notre relation est sereine, nous aurons plutôt tendance à ne pas imaginer qu’il pourrait en être autrement. Il en va de même lorsque nous vivons des émotions difficiles : nous réinterprétons alors toute notre histoire et la remettons en question à la lumière de la crise du moment.

Georges et Christine se sont rencontrés il y a deux ans. Ils ont très vite emménagé ensemble et construit des projets communs qui les impliquaient à très long terme. A côté de leurs point communs, leurs personnalités sont très différentes : Georges est obsédé par le rangement et l’ordre, alors que Christine est plutôt du genre bohème. Au début, ces différences les séduisaient et les faisaient gentiment rire. Deux ans après, ils sont proches de la séparation. Très insatisfaits l’un de l’autre, ils sont continuellement en conflit, ne se supportent plus et se reprochent mutuellement un manque de respect, tout en se demandant ce qui a bien pu les attirer chez l’autre.

L’importance des émotions

Il semble en fait que la manière de gérer nos situations de conflits, et plus généralement les tensions, soit le prédicteur le plus fiable de succès d’une relation de couple (K. Lindahl, Clements & Markman, 1998). La manière de réguler les émotions négatives qui surgiront à propos du conjoint ou du couple (déplaisir, colère, frustration, jalousie) est alors vu comme un élément central de la relation (Clements, Cordova, Markman & Laurenceau, 1997).

Nos émotions figurent au cœur de l’intimité et des processus qui peuvent la mettre à mal. C’est tout d’abord grâce aux émotions que nous sommes en mesure de communiquer et de réellement partager avec l’autre. Les émotions sont centrales dans les processus d’échange et d’empathie. Mais elles sont aussi très impliquées dans les états de stress, les incompréhensions, conflits et tensions. La manière dont nous allons les gérer est donc un paramètre important de la relation. Mal gérées, elles risquent de participer à la détérioration de la relation alors que lorsqu’elles sont apprivoisées, elles deviennent au contraire des éléments à même de l’enrichir. Notre réactivité émotionnelle, si elle n’est pas maîtrisée, favorise des comportements qui entretiennent les conflits : par exemple, les réactions agressives qui participent à l’escalade ou les réactions de fuite qui mènent au désengagement relationnel, autre élément particulièrement nocif au lien de couple.

Georges reproche à Christine de ne pas être ordonnée et de ne pas le respecter, de ne jamais faire attention aux autres et d’être toujours en retard. Christine lui répond qu’il est vraiment manipulateur et agressif, et que c’est impossible de discuter avec lui. Sur ce, Georges rétorque que ce n’est pas la peine de discuter et s’en va (ce qu’il fait habituellement quand le conflit s’envenime), ce qui a le don d’exaspérer Christine qui essaye de le retenir et, voulant une réaction de sa part, le provoque en fait chaque fois un peu plus.

Les compétences émotionnelles

Des différences individuelles importantes existent entre individus dans la manière de gérer les émotions. Alors que certains sont capables d’identifier et de verbaliser assez clairement leurs sentiments, d’autres ne peuvent prendre conscience de leurs émotions et de celles des autres qu’avec beaucoup de difficulté. Les compétences qui nous permettent de prendre conscience et d’observer nos émotions et celles des autres, de les comprendre, de les exprimer et d’agir de manière flexible et adaptée par rapport à la situation ont été qualifiées « d’intelligence émotionnelle » ou de « compétences « émotionnelles » (Mikolajczak, Quoidbach, Kotsou & Nelis, 2009). Les recherches scientifiques montrent que ces compétences émotionnelles sont liées tant à notre santé physique et mentale qu’à la qualité de nos relations. Une étude de Marc Brackett et de ses collègues de l’Université de Yale (Brackett, Warner & Bosco, 2005) a par exemple mis en lumière que les couples dans lesquels les compétences émotionnelles étaient élevées vivaient une qualité de relation bien meilleure que dans les couples où elles étaient peu développées. La bonne nouvelle, dans cette recherche, est qu’il suffisait qu’un seul des partenaires possède ces compétences pour influencer positivement la qualité de la relation. Evidemment, les couples où les deux partenaires possédaient de faibles compétences émotionnelles avaient les relations les moins positives, les moins profondes et avec le moins de soutien de l’autre.
Un niveau élevé de compétences émotionnelles favorise la possibilité que les couples parlent ouvertement de leurs difficultés, expriment leurs sentiments de manière positive et travaillent en direction d’une résolution de conflits mutuellement positive, alors qu’un manque de compétences émotionnelles risque de mener plus vite aux exigences, au désengagement relationnel ou à l’évitement du conflit. L’étude a encore montré que les couples les plus satisfaits étaient ceux qui n’évitaient pas les discussions sur les problèmes relationnels, et qui percevaient leur conjoint comme ayant des compétences émotionnelles élevées (Smith, Heaven & Ciarrochi, 2008).

Heureusement, les compétences émotionnelles peuvent s’améliorer et ce quel que soit l’âge de l’individu (Kotsou, Nelis, Grégoire & Mikolajczak, 2011). Il est aujourd’hui démontré que tout au long de notre vie, nous pouvons cultiver cette capacité à mieux entrer en relation avec nos émotions pour, finalement, mieux vivre avec les autres. Voyons ensemble quelques compétences émotionnelles en illustrant comment elles s’appliquent aux tensions de couple.

Identifier et exprimer nos émotions

Une des compétences émotionnelles de base est la capacité à identifier nos sentiments. L’incapacité à identifier et à verbaliser ses propres émotions semble être un facteur négatif pour les relations interpersonnelles. Une étude a par exemple montré qu’un niveau d’alexithymie[2] élevé était lié à un niveau moindre de satisfaction sexuelle et de satisfaction générale dans le couple (Humphreys, Wood & Parker, 2009). Sans pouvoir identifier ce que nous ressentons, il nous est difficile de donner du sens à nos états émotionnels. Nous devenons alors plus enclins à des réactions inappropriées : par exemple, si nous ne sommes pas capables de détecter notre énervement ou notre frustration avant que ces émotions ne se muent en une colère incontrôlable. Mais l’incapacité à identifier et verbaliser nos sentiments rend aussi très difficile le fait d’exprimer et de partager nos sentiments avec notre conjoint, cette capacité étant une autre compétence émotionnelle clé. Nous entraîner à nous arrêter régulièrement pour faire le point sur notre état émotionnel intérieur, puis à mettre des mots sur notre vécu est une première étape pour sortir de l’automatisme et mieux comprendre nos comportements et réactions. Une étude en neurosciences a par exemple montré que pouvoir labelliser ses sentiments était à même de faire baisser l’activité de l’amygdale, cette structure du cerveau si impliquée dans la réactivité émotionnelle (Lieberman et al., 2007).

Identifier et verbaliser nos sentiments est aussi une manière d’exprimer notre ressenti de manière authentique et de telle manière qu’il puisse être entendu par notre conjoint, plutôt que de procéder en le jugeant (ce qui mène à l’escalade) ou de nous enfermer dans un mutisme dû à notre propre incapacité à apprivoiser notre vie intérieure.

Georges est en colère car Christine est rentrée en retard du travail sans le prévenir. S’il réagit selon son habitude, il « l’accueillera » en lui disant, sur un ton de reproche : « Tu ne respectes vraiment personne, tu es toujours en retard ! Ne pourrais-tu pas avoir un peu plus de considération pour moi, ne serait-ce qu’une fois ? »

Ce type de communication, un jugement, n’est pas du tout clair sur ses propres sentiments ni sur ce qui pourrait être tenté pour résoudre la situation. Il a donc toutes les chances de mener à une escalade.

Christine lui répondant alors : « Est-ce que tu as vu comment tu me traites ? Au lieu de t’inquiéter pour moi, tu ne fais que me contrôler et me critiquer. Crois-tu que c’est ce qui me donnera envie de rentrer tôt ? »

On voit que le processus d’escalade se met en place, Christine y allant de ses sous-entendus et attaques personnelles.

Si Georges avait pris le temps d’identifier et d’exprimer son ressenti de manière plus « émotionnellement intelligente », il se serait exprimé plutôt de cette manière : « Je me suis senti vraiment inquiet (expression de l’émotion) suite à ton retard. Cela me rassurerait que tu me préviennes la prochaine fois (proposition d’action de résolution). »

Comprendre nos émotions

Ne pas rester dans l’évitement, le déni ou l’ignorance de nos émotions, mais, au contraire, se placer « à leur écoute » est une étape importante pour les comprendre. Le développement des compétences émotionnelles aide les personnes à approcher, tolérer et donner du sens à leurs émotions au lieu de les éviter (Greenberg, 2010). Cela permet aussi d’identifier les besoins sur lesquels nous informent nos émotions, et à prendre soin de ces besoins plutôt qu’à simplement nous laisser emporter par nos dynamiques habituelles. Comprendre nos besoins dans la relation nous permet, également à ce niveau, de mieux communiquer avec l’autre.

Lorsque Christine est en retard, Georges, plutôt que de laisser s’exprimer sa peur sous forme d’énervement et de culpabilisation : « Tu ne fais vraiment jamais attention aux autres ! », pourrait exprimer ses besoins non remplis sur lequel l’émotion le renseigne : « J’ai eu peur qu’il te soit arrivé quelque chose, j’avais besoin d’être rassuré et de me dire que je compte pour toi. »

Lorsque nous nous comprenons mieux nous-même, nous comprenons mieux les autres et nous sommes plus à même de choisir des comportements guidés par nos buts et valeurs à long terme (la qualité de notre relation de couple, le plaisir de vivre ensemble), plutôt que de laisser nos émotions activer des comportements automatiques (fuite, agressivité). A titre d’exemple, des recherches ont montré que la clarté émotionnelle, autrement dit la compréhension claire de ses propres émotions, était liée à une plus grande facilité à pardonner au partenaire dans un conflit (Salovey, Mayer, Goldman, Turvey & Palfai, s. d.).

Cette compétence de compréhension nous permet de développer une qualité d’écoute des émotions et besoins du conjoint qui ouvre la possibilité de ne plus réagir automatiquement à ce qui est exprimé dans une discussion qui s’envenime. Dans une telle situation importe en effet autant tout ce qui est dit de manière explicite mais aussi toutes les émotions et besoins implicites que l’autre a du mal à exprimer verbalement mais qui sont communiqués à l’autre d’une certaine manière. Si face aux reproches de l’un (« Tu passes ton temps à sortir avec tes copains et tu me négliges ») l’autre se met sur la défensive ou critique (« Tu racontes vraiment n’importe quoi ! On a passé deux soirées ensemble la semaine passée »), il y a toutes les chances que la situation s’aggrave et mène à une escalade ou un comportement de désengagement relationnel, indicateur négatif en termes de pérennité de la relation (Gottman & Levenson, 2002). Si plutôt que de réagir à ses seuls mécanismes de défense, le conjoint ressent ses propres émotions, il sera plus en mesure de s’ouvrir aux émotions et besoins de l’autre. Intégrer le fait que nous sommes à l’écoute des sentiments et besoins de l’autre (« J’entends que cela ne te convient pas et que tu aimerais que l’on passe plus de temps ensemble ») donne à l’autre une chance de se sentir compris, et quand bien même nous n’aurions pas décodé le message de la bonne manière, cette attitude empathique d’ouverture facilitera la poursuite de la relation et la compréhension authentique de l’autre.

Par Ilios KOTSOU – Revue Sexualités Humaines
Vous pouvez lire la suite de cet article dans la revue Sexualités Humaines n°21 disponible sur le site www.ressourcesmentales.com

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